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Les Rêveries du promeneur solitaire cover Éditions Batoilles

Les Rêveries du promeneur solitaire

De Jean-Jacques Rousseau

1782
Émile

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 DATE DE PUBLICATION ORIGINALE

1er janvier 1782

 VUES

154

 DERNIÈRE MISE À JOUR

2025-05-04 10:23:02

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 CITATIONS

131

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 TYPE

Essai

 RÉSUMÉ

Redécouvrez Rousseau dans une édition d’exception

Plongez au cœur des derniers écrits de Jean-Jacques Rousseau avec Les Rêveries du promeneur solitaire, un chef-d’œuvre d’introspection et de poésie, désormais proposé dans une édition grand format élégante et soigneusement élaborée. Chaque page de cette œuvre testamentaire vous invite à marcher aux côtés du philosophe, à contempler la nature, le silence, et la vérité intérieure.

Cette édition remarquable ne se contente pas de restituer fidèlement le texte original : elle est enrichie d’une biographie complète de l’auteur, offrant un éclairage précieux sur la vie tourmentée de Rousseau et les circonstances qui ont nourri ses rêveries. Les amateurs de belles éditions apprécieront également la qualité de la mise en page – idéale pour les bibliothèques personnelles ou comme cadeau à un esprit curieux.

Les Rêveries du promeneur solitaire est plus qu’un livre : c’est une promenade hors du temps, une méditation sur le bonheur, la solitude, et la liberté d’être soi. Un indispensable pour les amoureux de la littérature et les chercheurs de sens.

Laissez-vous toucher par la sincérité lumineuse de Jean-Jacques Rousseau.

 HISTOIRE

Aucune histoire.

 ANECDOTES

L'édition Folio Classique de Gallimard de 2016 mentionne « Systema naturœ » en page 123 alors qu'il s'agit de « Systema natoræ », selon l'édition originale du texte.
L'édition Folio Classique de Gallimard de 2016 mentionne « Hippophœe » en page 171 alors qu'il s'agit de « hippophae », selon l'édition originale du texte.

 PERSONNAGES

Aucun personnage.

 PHOTOS

Aucune photo.

 CITATIONS

Les citations suivent scrupuleusement l'ordre chronologique de l'ouvrage.

Me voici donc seul sur la terre, n’ayant plus de frère, de prochain, d’ami, de société que moi-même.

J'aurais aimé les hommes en dépit d'eux-mêmes.

Tiré je ne sais comment de l’ordre des choses, je me suis vu précipité dans un chaos incompréhensible où je n’aperçois rien du tout ; et plus je pense à ma situation présente et moins je puis comprendre où je suis.

Mes agitations, mon indignation, me plongèrent dans un délire qui n’a pas eu trop de dix ans pour se calmer, et dans cet intervalle, tombé d’erreur en erreur, de faute en faute, de sottise en sottise, j’ai fourni par mes imprudences aux directeurs de ma destinée autant d’instruments qu’ils ont habilement mis en œuvre pour la fixer sans retour.

Sentant enfin tous mes efforts inutiles et me tourmentant à pure perte j’ai pris le seul parti qui me restait à prendre, celui de me soumettre à ma destinée sans plus regimber contre la nécessité.

Dans tous les raffinements de leur haine mes persécuteurs en ont omis un que leur animosité leur a fait oublier ; c’était d’en graduer si bien les effets qu’ils pussent entretenir et renouveler mes douleurs sans cesse en me portant toujours quelque nouvelle atteinte.

La douleur physique elle-même au lieu d’augmenter mes peines y ferait diversion. En m’arrachant des cris, peut-être, elle m’épargnerait des gémissements, et les déchirements de mon corps suspendraient ceux de mon cœur.

Les hommes auraient beau revenir à moi, ils ne me retrouveraient plus. Avec le dédain qu’ils m’ont inspiré leur commerce me serait insipide et même à charge, et je suis cent fois plus heureux dans ma solitude que je ne pourrais l’être en vivant avec eux. Ils ont arraché de mon cœur toutes les douceurs de la société. Elles n’y pourraient plus germer derechef à mon âge ; il est trop tard. Qu’ils me fassent désormais du bien ou du mal tout m’est indifférent de leur part, et quoi qu’ils fassent, mes contemporains ne seront jamais rien pour moi.

Les particuliers meurent, mais les corps collectifs ne meurent point. Les mêmes passions s’y perpétuent, et leur haine ardente, immortelle comme le démon qui l’inspire, a toujours la même activité.

Tout est fini pour moi sur la terre. On ne peut plus m’y faire ni bien ni mal. Il ne me reste plus rien à espérer ni à craindre en ce monde, et m’y voilà tranquille au fond de l’abîme, pauvre mortel infortuné, mais impassible comme Dieu même.

Tout ce qui m’est extérieur m’est étranger désormais. Je n’ai plus en ce monde ni prochain, ni semblables, ni frères. Je suis sur la terre comme dans une planète étrangère, où je serais tombé de celle que j’habitais.

Seul pour le reste de ma vie, puisque je ne trouve qu’en moi la consolation, l’espérance et la paix, je ne dois ni ne veux plus m’occuper que de moi.

Je consacre mes derniers jours à m’étudier moi-même et à préparer d’avance le compte que je ne tarderai pas à rendre de moi. Livrons-nous tout entier à la douceur de converser avec mon âme puisqu’elle est la seule que les hommes ne puissent m’ôter.

Si à force de réfléchir sur mes dispositions intérieures je parviens à les mettre en meilleur ordre et à corriger le mal qui peut y rester, mes méditations ne seront pas entièrement inutiles, et quoique je ne sois plus bon à rien sur la terre, je n’aurai pas tout à fait perdu mes derniers jours.

Les loisirs de mes promenades journalières ont souvent été remplis de contemplations charmantes dont j’ai regret d’avoir perdu le souvenir. Je fixerai par l’écriture celles qui pourront me venir encore ; chaque fois que je les relirai m’en rendra la jouissance. J’oublierai mes malheurs, mes persécuteurs, mes opprobres, en songeant au prix qu’avait mérité mon cœur.

Ces feuilles ne seront proprement qu’un informe journal de mes rêveries. Il y sera beaucoup question de moi parce qu’un solitaire qui réfléchit s’occupe nécessairement beaucoup de lui-même.

Ces feuilles peuvent donc être regardées comme un appendice de mes Confessions, mais je ne leur en donne plus le titre, ne sentant plus rien à dire qui puisse le mériter.

Qu’aurais-je encore à confesser quand toutes les affections terrestres en sont arrachées ?

Ne pouvant plus faire aucun bien qui ne tourne à mal, ne pouvant plus agir sans nuire à autrui ou à moi-même, m’abstenir est devenu mon unique devoir, et je le remplis autant qu’il est en moi.

Mon corps n’est plus pour moi qu’un embarras, qu’un obstacle, et je m’en dégage d’avance autant que je puis.

Je ferai sur moi-même à quelque égard les opérations que font les physiciens sur l’air pour en connaître l’état journalier. J’appliquerai le baromètre à mon âme, et ces opérations bien dirigées et longtemps répétées me pourraient fournir des résultats aussi sûrs que les leurs.

Je fais la même entreprise que Montaigne, mais avec un but tout contraire au sien : car il n’écrivait ses Essais que pour les autres, et je n’écris mes rêveries que pour moi.

Ayant donc formé le projet de décrire l’état habituel de mon âme dans la plus étrange position où se puisse jamais trouver un mortel, je n’ai vu nulle manière plus simple et plus sûre d’exécuter cette entreprise que de tenir un registre fidèle de mes promenades solitaires et des rêveries qui les remplissent quand je laisse ma tête entièrement libre, et mes idées suivre leur pente sans résistance et sans gêne. Ces heures de solitude et de méditation sont les seules de la journée où je sois pleinement moi et à moi sans diversion, sans obstacle, et où je puisse véritablement dire être ce que la nature a voulu.

Ainsi pour me contempler moi-même avant mon déclin, il faut que je remonte au moins de quelques années au temps où perdant tout espoir ici-bas et ne trouvant plus d’aliment pour mon cœur sur la terre, je m’accoutumais peu à peu à le nourrir de sa propre substance et à chercher toute sa pâture au-dedans de moi.

L’habitude de rentrer en moi-même me fit perdre enfin le sentiment et presque le souvenir de mes maux, j’appris ainsi par ma propre expérience que la source du vrai bonheur est en nous, et qu’il ne dépend pas des hommes de rendre vraiment misérable celui qui sait vouloir être heureux.

Je me voyais au déclin d’une vie innocente et infortunée, l’âme encore pleine de sentiments vivaces et l’esprit encore orné de quelques fleurs, mais déjà flétries par la tristesse et desséchées par les ennuis.

J’étais fait pour vivre, et je meurs sans avoir vécu.

La nuit s’avançait. J’aperçus le ciel, quelques étoiles, et un peu de verdure. Cette première sensation fut un moment délicieux. Je ne me sentais encore que par-là. Je naissais dans cet instant à la vie, et il me semblait que je remplissais de ma légère existence tous les objets que j’apercevais. Tout entier au moment présent je ne me souvenais de rien ; je n’avais nulle notion distincte de mon individu, pas la moindre idée de ce qui venait de m’arriver ; je ne savais ni qui j’étais ni où j’étais ; je ne sentais ni mal, ni crainte, ni inquiétude. Je voyais couler mon sang comme j’aurais vu couler un ruisseau, sans songer seulement que ce sang m’appartînt en aucune sorte. Je sentais dans tout mon être un calme ravissant, auquel chaque fois que je me le rappelle, je ne trouve rien de comparable dans toute l’activité des plaisirs connus.

Elle m’avait parlé d’un roman qu’elle voulait faire pour le présenter à la reine. Je lui avais dit ce que je pensais des femmes auteurs.

C’est ainsi que la droiture et la franchise en toute chose sont des crimes affreux dans le monde, et je paraîtrais à mes contemporains méchant et féroce, quand je n’aurais à leurs yeux d’autre crime que de n’être pas faux et perfide comme eux.

Le seul résultat constant de tant d’énigmes fut la confirmation de toutes mes conclusions précédentes, savoir que la destinée de ma personne et celle de ma réputation ayant été fixées de concert par toute la génération présente, nul effort de ma part ne pouvait m’y soustraire puisqu’il m’est de toute impossibilité de transmettre aucun dépôt à d’autres âges sans le faire passer dans celui-ci par des mains intéressées à le supprimer.

Ma résignation vient d’une source moins désintéressée il est vrai, mais non moins pure et plus digne à mon gré de l’Être parfait que j’adore. Dieu est juste ; il veut que je souffre ; et il sait que je suis innocent.

Laissons donc faire les hommes et la destinée ; apprenons à souffrir sans murmure ; tout doit à la fin rentrer dans l’ordre, et mon tour viendra tôt ou tard.

Je deviens vieux en apprenant toujours.

La jeunesse est le temps d’étudier la sagesse ; la vieillesse est le temps de la pratiquer. L’expérience instruit toujours, je l’avoue ; mais elle ne profite que pour l’espace qu’on a devant soi. Est-il temps au moment qu’il faut mourir d’apprendre comment on aurait dû vivre ?

Je n’ai appris à mieux connaître les hommes que pour mieux sentir la misère où ils m’ont plongé, sans que cette connaissance, en me découvrant tous leurs pièges, m’en ait pu faire éviter aucun.

Que ne suis-je resté toujours dans cette imbécile mais douce confiance qui me rendit durant tant d’années la proie et le jouet de mes bruyants amis, sans qu’enveloppé de toutes leurs trames j’en eusse même le moindre soupçon ! J’étais leur dupe et leur victime, il est vrai, mais je me croyais aimé d’eux, et mon cœur jouissait de l’amitié qu’ils m’avaient inspirée en leur en attribuant autant pour moi. Ces douces illusions sont détruites.

La triste vérité que le temps et la raison m’ont dévoilée en me faisant sentir mon malheur, m’a fait voir qu’il était sans remède et qu’il ne me restait qu’à m’y résigner. Ainsi toutes les expériences de mon âge sont pour moi dans mon état sans utilité présente, et sans profit pour l’avenir.

Jeté dès mon enfance dans le tourbillon du monde, j’appris de bonne heure par l’expérience que je n’étais pas fait pour y vivre, et que je n’y parviendrais jamais à l’état dont mon cœur sentait le besoin.

Incertain dans mes inquiets désirs, j’espérai peu, j’obtins moins, et je sentis dans des lueurs même de prospérité que quand j’aurais obtenu tout ce que je croyais chercher je n’y aurais point trouvé ce bonheur dont mon cœur était avide sans en savoir démêler l’objet.

J’entrepris de soumettre mon intérieur à un examen sévère qui le réglât pour le reste de ma vie tel que je voulais le trouver à ma mort.

Déjà je touche au déclin. Si j’attends encore, je n’aurai plus dans ma délibération tardive l’usage de toutes mes forces ; mes facultés intellectuelles auront déjà perdu de leur activité, je ferai moins bien ce que je puis faire aujourd’hui de mon mieux possible : saisissons ce moment favorable ; il est l’époque de ma réforme externe et matérielle, qu’il soit aussi celle de ma réforme intellectuelle et morale. Fixons une bonne fois mes opinions, mes principes, et soyons pour le reste de ma vie ce que j’aurai trouvé devoir être après y avoir bien pensé.

Pour la première fois de ma vie j’eus du courage, et je dois à son succès d’avoir pu soutenir l’horrible destinée qui dès lors commençait à m’envelopper sans que j’en eusse le moindre soupçon.

Le résultat de mes pénibles recherches fut tel à peu près que je l’ai consigné depuis dans la Profession de foi du Vicaire savoyard, ouvrage indignement prostitué et profané dans la génération présente, mais qui peut faire un jour révolution parmi les hommes si jamais il y renaît du bon sens et de la bonne foi.

Tandis que, tranquille dans mon innocence, je n’imaginais qu’estime et bienveillance pour moi parmi les hommes ; tandis que mon cœur ouvert et confiant s’épanchait avec des amis et des frères, les traîtres m’enlaçaient en silence de rets forgés au fond des enfers.

Surpris par les plus imprévus de tous les malheurs et les plus terribles pour une âme fière, traîné dans la fange sans jamais savoir par qui ni pourquoi, plongé dans un abîme d’ignominie, enveloppé d’horribles ténèbres à travers lesquelles je n’apercevais que de sinistres objets, à la première surprise je fus terrassé, et jamais je ne serais revenu de l’abattement où me jeta ce genre imprévu de malheurs si je ne m’étais ménagé d’avance des forces pour me relever dans mes chutes.

Décidé sur toutes les choses dont il m’importait de juger, je vis, en comparant mes maximes à ma situation, que je donnais aux insensés jugements des hommes et aux petits événements de cette courte vie beaucoup plus d’importance qu’ils n’en avaient.

Suis-je donc seul sage, seul éclairé parmi les mortels ?

Aujourd’hui que mon cœur serré de détresse, mon âme affaissée par les ennuis, mon imagination effarouchée, ma tête troublée par tant d’affreux mystères dont je suis environné, aujourd’hui que toutes mes facultés, affaiblies par la vieillesse et les angoisses, ont perdu tout leur ressort, irai-je m’ôter à plaisir toutes les ressources que je m’étais ménagées, et donner plus de confiance à ma raison déclinante pour me rendre injustement malheureux, qu’à ma raison pleine et vigoureuse pour me dédommager des maux que je souffre sans les avoir mérités ?

En prenant la doctrine de mes persécuteurs, prendrais-je aussi leur morale ?

Ainsi retenu dans l’étroite sphère de mes anciennes connaissances je n’ai pas, comme Solon, le bonheur de pouvoir m’instruire chaque jour en vieillissant, et je dois même me garantir du dangereux orgueil de vouloir apprendre ce que je suis désormais hors d’état de bien savoir.

Mais s’il me reste peu d’acquisitions à espérer du côté des lumières utiles, il m’en reste de bien importantes à faire du côté des vertus nécessaires à mon état. C’est là qu’il serait temps d’enrichir et d’orner mon âme d’un acquis qu’elle pût emporter avec elle, lorsque délivrée de ce corps qui l’offusque et l’aveugle, et voyant la vérité sans voile, elle apercevra la misère de toutes ces connaissances dont nos faux savants sont si vains.

Heureux si par mes progrès sur moi-même, j’apprends à sortir de la vie, non meilleur, car cela n’est pas possible, mais plus vertueux que je n’y suis entré.

La vérité générale et abstraite est le plus précieux de tous les biens. Sans elle l’homme est aveugle ; elle est l’œil de la raison. C’est par elle que l’homme apprend à se conduire, à être ce qu’il doit être, à faire ce qu’il doit faire, à tendre à sa véritable fin.

Que je croie le sable qui est au fond de la mer blanc ou rouge, cela ne m’importe pas plus que d’ignorer de quelle couleur il est.

Dire une chose fausse à son avantage n’est pas moins mentir que si on la disait au préjudice d’autrui, quoique le mensonge soit moins criminel.

J’ai vu de ces gens qu’on appelle vrais dans le monde. Toute leur véracité s’épuise dans les conversations oiseuses à citer fidèlement les lieux, les temps, les personnes, à ne se permettre aucune fiction, à ne broder aucune circonstance, à ne rien exagérer. En tout ce qui ne touche point à leur intérêt ils sont dans leurs narrations de la plus inviolable fidélité. Mais s’agit-il de traiter quelque affaire qui les regarde, de narrer quelque fait qui leur touche de près ; toutes les couleurs sont employées pour présenter les choses sous le jour qui leur est le plus avantageux, et si le mensonge leur est utile et qu’ils s’abstiennent de le dire eux-mêmes, ils le favorisent avec adresse et font en sorte qu’on l’adopte sans le leur pouvoir imputer. Ainsi le veut la prudence : adieu la véracité.

Si le Temple de Gnide est un ouvrage utile, l’histoire du manuscrit grec n’est qu’une fiction très innocente ; elle est un mensonge très punissable si l’ouvrage est dangereux.

En devenant plus malheureux je suis devenu plus timide et jamais je n’ai menti que par timidité.

Oui je le dis et le sens avec une fière élévation d’âme, j’ai porté dans cet écrit (nb : « Les Confession ») la bonne foi, la véracité, la franchise, aussi loin, plus loin même, au moins je le crois, que ne fit jamais aucun autre homme ; sentant que le bien surpassait le mal j’avais mon intérêt à tout dire, et j’ai tout dit.

Il n’est jamais trop tard pour apprendre, même de ses ennemis, à être sage, vrai, modeste, et à moins présumer de soi.

De toutes les habitations où j’ai demeuré (et j’en ai eu de charmantes), aucune ne m’a rendu si véritablement heureux et ne m’a laissé de si tendres regrets que l’île de Saint-Pierre au milieu du lac de Bienne.

On ne m’a laissé passer guère que deux mois dans cette île, mais j’y aurais passé deux ans, deux siècles, et toute l’éternité sans m’y ennuyer un moment.

On dit qu’un Allemand a fait un livre sur un zeste de citron, j’en aurais fait un sur chaque gramen des prés, sur chaque mousse des bois, sur chaque lichen qui tapisse les rochers ; enfin je ne voulais pas laisser un poil d’herbe, pas un atome végétal qui ne fût amplement décrit.

Je m’esquivais et j’allais me jeter seul dans un bateau que je conduisais au milieu du lac quand l’eau était calme, et là, m’étendant tout de mon long dans le bateau les yeux tournés vers le ciel, je me laissais aller et dériver lentement au gré de l’eau, quelquefois pendant plusieurs heures, plongé dans mille rêveries confuses mais délicieuses, et qui sans avoir aucun objet bien déterminé ni constant ne laissaient pas d’être à mon gré cent fois préférables à tout ce que j’avais trouvé de plus doux dans ce qu’on appelle les plaisirs de la vie.

Le bruit des vagues et l’agitation de l’eau fixant mes sens et chassant de mon âme toute autre agitation la plongeaient dans une rêverie délicieuse où la nuit me surprenait souvent sans que je m’en fusse aperçu. Le flux et reflux de cette eau, son bruit continu mais renflé par intervalles frappant sans relâche mon oreille et mes yeux, suppléaient aux mouvements internes que la rêverie éteignait en moi et suffisaient pour me faire sentir avec plaisir mon existence, sans prendre la peine de penser.

On se reposait dans le pavillon, on riait, on causait, on chantait quelque vieille chanson qui valait bien le tortillage moderne, et enfin l’on s’allait coucher content de sa journée et n’en désirant qu’une semblable pour le lendemain.

J’ai remarqué dans les vicissitudes d’une longue vie que les époques des plus douces jouissances et des plaisirs les plus vifs ne sont pourtant pas celles dont le souvenir m’attire et me touche le plus. Ces courts moments de délire et de passion, quelque vifs qu’ils puissent être ne sont cependant, et par leur vivacité même, que des points bien clairsemés dans la ligne de la vie. Ils sont trop rares et trop rapides pour constituer un état, et le bonheur que mon cœur regrette n’est point composé d’instants fugitifs mais un état simple et permanent, qui n’a rien de vif en lui-même, mais dont la durée accroît le charme au point d’y trouver enfin la suprême félicité.

Aussi n’a-t-on guère ici bas que du plaisir qui passe ; pour le bonheur qui dure je doute qu’il y soit connu.

Tel est l’état où je me suis trouvé souvent à l’île de Saint-Pierre dans mes rêveries solitaires, soit couché dans mon bateau que je laissais dériver au gré de l’eau, soit assis sur les rives du lac agité, soit ailleurs, au bord d’une belle rivière ou d’un ruisseau murmurant sur le gravier.

Délivré de toutes les passions terrestres qu’engendre le tumulte de la vie sociale, mon âme s’élancerait fréquemment au-dessus de cette atmosphère, et commercerait d’avance avec les intelligences célestes dont elle espère aller augmenter le nombre dans peu de temps.

Les hommes se garderont, je le sais, de me rendre un si doux asile où ils n’ont pas voulu me laisser. Mais ils ne m’empêcheront pas du moins de m’y transporter chaque jour sur les ailes de l’imagination, et d’y goûter durant quelques heures le même plaisir que si je l’habitais encore. Ce que j’y ferais de plus doux serait d’y rêver à mon aise. En rêvant que j’y suis ne fais-je pas la même chose ?

Hélas, c’est quand on commence à quitter sa dépouille qu’on en est le plus offusqué !

Nous n’avons guère de mouvement machinal dont nous ne pussions trouver la cause dans notre cœur, si nous savions bien l’y chercher.

Le plus grand soin de ceux qui règlent ma destinée ayant été que tout ne fût pour moi que fausse et trompeuse apparence, un motif de vertu n’est jamais qu’un leurre qu’on me présente pour m’attirer dans le piège où l’on veut m’enlacer. Je sais cela ; je sais que le seul bien qui soit désormais en ma puissance est de m’abstenir d’agir de peur de mal faire sans le vouloir et sans le savoir.

Ma destinée semble avoir tendu dès mon enfance le premier piège qui m’a rendu longtemps si facile à tomber dans tous les autres.

Si je ne suis malheureux ils le sont eux-mêmes, et chaque fois que je rentre en moi je les trouve toujours à plaindre. L’orgueil peut-être se mêle encore à ces jugements, je me sens trop au-dessus d’eux pour les haïr. Ils peuvent m’intéresser tout au plus jusqu’au mépris, mais jamais jusqu’à la haine : enfin je m’aime trop moi-même pour pouvoir haïr qui que ce soit. Ce serait resserrer, comprimer mon existence, et je voudrais plutôt l’étendre sur tout l’univers.

Si ma figure et mes traits étaient aussi parfaitement inconnus aux hommes que le sont mon caractère et mon naturel, je vivrais encore sans peine au milieu d’eux ; leur société même pourrait me plaire tant que je leur serais parfaitement étranger.

Si j’étais resté libre, obscur, isolé, comme j’étais fait pour l’être, je n’aurais fait que du bien : car je n’ai dans le cœur le germe d’aucune passion nuisible. Si j’eusse été invisible et tout-puissant comme Dieu, j’aurais été bienfaisant et bon comme lui. C’est la force et la liberté qui font les excellents hommes.

Si j’eusse été possesseur de l’anneau de Gygès, il m’eût tiré de la dépendance des hommes et les eût mis dans la mienne.

Le recueil de mes longs rêves est à peine commencé, et déjà je sens qu’il touche à sa fin.

J’ai pensé quelquefois assez profondément ; mais rarement avec plaisir, presque toujours contre mon gré et comme par force : la rêverie me délasse et m’amuse, la réflexion me fatigue et m’attriste ; penser fut toujours pour moi une occupation pénible et sans charme. Quelquefois mes rêveries finissent par la méditation, mais plus souvent mes méditations finissent par la rêverie, et durant ces égarements mon âme erre et plane dans l’univers sur les ailes de l’imagination, dans des extases qui passent toute autre jouissance.

Les arbres, les arbrisseaux, les plantes sont la parure et le vêtement de la terre.

Vivifiée par la nature et revêtue de sa robe de noces au milieu du cours des eaux et du chant des oiseaux, la terre offre à l’homme dans l’harmonie des trois règnes un spectacle plein de vie, d’intérêt et de charme, le seul spectacle au monde dont ses yeux et son cœur ne se lassent jamais.

Plus un contemplateur a l’âme sensible plus il se livre aux extases qu’excite en lui cet accord. Une rêverie douce et profonde s’empare alors de ses sens, et il se perd avec une délicieuse ivresse dans l’immensité de ce beau système avec lequel il se sent identifié. Alors tous les objets particuliers lui échappent ; il ne voit et ne sent rien que dans le tout. Il faut que quelque circonstance particulière resserre ses idées et circonscrive son imagination pour qu’il puisse observer par parties cet univers qu’il s’efforçait d’embrasser.

Mes idées ne sont presque plus que des sensations, et la sphère de mon entendement ne passe pas les objets dont je suis immédiatement entouré.

Le règne minéral n’a rien en soi d’aimable et d’attrayant ; ses richesses enfermées dans le sein de la terre semblent avoir été éloignées des regards des hommes pour ne pas tenter leur cupidité. Elles sont là comme en réserve pour servir un jour de supplément aux véritables richesses qui sont plus à sa portée et dont il perd le goût à mesure qu’il se corrompt. Alors il faut qu’il appelle l’industrie, la peine et le travail au secours de ses misères ; il fouille les entrailles de la terre, il va chercher dans son centre aux risques de sa vie et aux dépens de sa santé des biens imaginaires à la place des biens réels qu’elle lui offrait d’elle-même quand il savait en jouir. Il fuit le soleil et le jour qu’il n’est plus digne de voir ; il s’enterre tout vivant et fait bien, ne méritant plus de vivre à la lumière du jour. Là, des carrières, des gouffres, des forges, des fourneaux, un appareil d’enclumes, de marteaux, de fumée et de feu, succèdent aux douces images des travaux champêtres. Les visages hâves des malheureux qui languissent dans les infectes vapeurs des mines, de noirs forgerons, de hideux cyclopes, sont le spectacle que l’appareil des mines substitue, au sein de la terre, à celui de la verdure et des fleurs, du ciel azuré, des bergers amoureux et des laboureurs robustes, sur sa surface.

Comment observer, disséquer, étudier, connaître les oiseaux dans les airs, les poissons dans les eaux, les quadrupèdes plus légers que le vent, plus forts que l’homme et qui ne sont pas plus disposés à venir s’offrir à mes recherches que moi de courir après eux pour les y soumettre de force ?

Je n’ai ni le goût ni les moyens de les tenir en captivité, ni l’agilité nécessaire pour les suivre dans leurs allures quand ils sont en liberté. Il faudra donc les étudier morts, les déchirer, les désosser, fouiller à loisir dans leurs entrailles palpitantes !

Quel appareil affreux qu’un amphithéâtre anatomique : des cadavres puants, de baveuses et livides chairs, du sang, des intestins dégoûtants, des squelettes affreux, des vapeurs pestilentielles ! Ce n’est pas là, sur ma parole, que Jean-Jacques ira chercher ses amusements.

Je n’ai ni dépense à faire ni peine à prendre pour errer nonchalamment d’herbe en herbe, de plante en plante, pour les examiner, pour comparer leurs divers caractères, pour marquer leurs rapports et leurs différences, enfin pour observer l’organisation végétale de manière à suivre la marche et le jeu de ces machines vivantes, à chercher quelquefois avec succès leurs lois générales, la raison et la fin de leurs structures diverses, et à me livrer au charme de l’admiration reconnaissante pour la main qui me fait jouir de tout cela.

Les plantes semblent avoir été semées avec profusion sur la terre, comme les étoiles dans le ciel, pour inviter l’homme par l’attrait du plaisir et de la curiosité à l’étude de la nature ; mais les astres sont placés loin de nous ; il faut des connaissances préliminaires, des instruments, des machines, de bien longues échelles pour les atteindre et les rapprocher à notre portée.

La botanique est l’étude d’un oisif et paresseux solitaire : une pointe et une loupe sont tout l’appareil dont il a besoin pour les observer.

Des dispositions bien différentes ont fait pour moi de cette étude une espèce de passion qui remplit le vide de toutes celles que je n’ai plus. Je gravis les rochers, les montagnes, je m’enfonce dans les vallons, dans les bois, pour me dérober autant qu’il est possible au souvenir des hommes et aux atteintes des méchants. Il me semble que sous les ombrages d’une forêt je suis oublié, libre et paisible comme si je n’avais plus d’ennemis ou que le feuillage des bois dût me garantir de leurs atteintes, comme il les éloigne de mon souvenir, et je m’imagine dans ma bêtise qu’en ne pensant point à eux ils ne penseront point à moi.

Le plaisir d’aller dans un désert chercher de nouvelles plantes couvre celui d’échapper à des persécuteurs ; et parvenu dans des lieux où je ne vois nulles traces d’hommes je respire plus à mon aise comme dans un asile où leur haine ne me poursuit plus.

La Suisse entière n’est pour ainsi dire qu’une grande ville, dont les rues larges et longues plus que celle de Saint-Antoine, sont semées de forêts, coupées de montagnes, et dont les maisons éparses et isolées ne communiquent entre elles que par des jardins anglais.

Je ne reverrai plus ces beaux paysages, ces forêts, ces lacs, ces bosquets, ces rochers, ces montagnes, dont l’aspect a toujours touché mon cœur : mais maintenant que je ne peux plus courir ces heureuses contrées je n’ai qu’à ouvrir mon herbier et bientôt il m’y transporte. Les fragments des plantes que j’y ai cueillies suffisent pour me rappeler tout ce magnifique spectacle. Cet herbier est pour moi un journal d’herborisation qui me les fait recommencer avec un nouveau charme et produit l’effet d’une optique qui les peindrait derechef à mes yeux.

J’aime encore mieux être moi dans toute ma misère que d’être aucun de ces gens-là dans toute leur prospérité.

Réduit à moi seul, je me nourris, il est vrai, de ma propre substance, mais elle ne s’épuise pas et je me suffis à moi-même, quoique je rumine pour ainsi dire à vide et que mon imagination tarie et mes idées éteintes ne fournissent plus d’aliments à mon cœur. Mon âme offusquée, obstruée par mes organes, s’affaisse de jour en jour et sous le poids de ces lourdes masses n’a plus assez de vigueur pour s’élancer comme autrefois hors de sa vieille enveloppe.

Je tombai dans tous les pièges qu’on creusa sous mes pas, l’indignation, la fureur, le délire, s’emparèrent de moi, je perdis la tramontane, ma tête se bouleversa, et dans les ténèbres horribles où l’on n’a cessé de me tenir plongé, je n’aperçus plus ni lueur pour me conduire, ni appui ni prise où je pusse me tenir ferme et résister au désespoir qui m’entraînait.

La ligue est universelle, sans exception, sans retour, et je suis sûr d’achever mes jours dans cette affreuse proscription, sans jamais en pénétrer le mystère.

Quand après avoir vainement cherché un homme il fallut éteindre enfin ma lanterne et m’écrier : il n’y en a plus ; alors je commençai à me voir seul sur la terre, et je compris que mes contemporains n’étaient par rapport à moi que des êtres mécaniques qui n’agissaient que par impulsion et dont je ne pouvais calculer l’action que par les lois du mouvement.

Que je devais regarder tous les détails de ma destinée comme autant d’actes d’une pure fatalité où je ne devais supposer ni direction, ni intention, ni cause morale ; qu’il fallait m’y soumettre sans raisonner et sans regimber parce que cela serait inutile ; que tout ce que j’avais à faire encore sur la terre étant de m’y regarder comme un être purement passif, je ne devais point user à résister inutilement à ma destinée la force qui me restait pour la supporter. Voilà ce que je me disais. Ma raison, mon cœur y acquiesçaient et néanmoins je sentais ce cœur murmurer encore. D’où venait ce murmure ? Je le cherchai, je le trouvai ; il venait de l’amour-propre qui après s’être indigné contre les hommes se soulevait encore contre la raison.

Un innocent persécuté prend longtemps pour un pur amour de la justice l’orgueil de son petit individu.

Je n’eus jamais beaucoup de pente à l’amour-propre ; mais cette passion factice s’était exaltée en moi dans le monde, et surtout quand je fus auteur ; j’en avais peut-être encore moins qu’un autre mais j’en avais prodigieusement.

Pour moi j’ai beau savoir que je souffrirai demain, il me suffit de ne pas souffrir aujourd’hui pour être tranquille.

Dominé par mes sens quoi que je puisse faire, je n’ai jamais su résister à leurs impressions, et tant que l’objet agit sur eux mon cœur ne cesse d’en être affecté ; mais ces affections passagères ne durent qu’autant que la sensation qui les cause. La présence de l’homme haineux m’affecte violemment, mais sitôt qu’il disparaît l’impression cesse ; à l’instant que je ne le vois plus je n’y pense plus.

Les jours où je ne vois personne, je ne pense plus à ma destinée ; je ne la sens plus, je ne souffre plus, je suis heureux et content sans diversion, sans obstacle.

Le trouble de mon cœur disparaît avec l’objet qui l’a causé et je rentre dans le calme aussitôt que je suis seul.

Je loge au milieu de Paris. En sortant de chez moi je soupire après la campagne et la solitude, mais il faut l’aller chercher si loin qu’avant de pouvoir respirer à mon aise je trouve en mon chemin mille objets qui me serrent le cœur, et la moitié de la journée se passe en angoisses avant que j’aie atteint l’asile que je vais chercher.

Le moment où j’échappe au cortège des méchants est délicieux, et sitôt que je me vois sous les arbres, au milieu de la verdure, je crois me voir dans le paradis terrestre et je goûte un plaisir interne aussi vif que si j’étais le plus heureux des mortels.

Convaincu de l’impossibilité de contenir ces premiers mouvements involontaires, j’ai cessé tous mes efforts pour cela. Je laisse à chaque atteinte mon sang s’allumer, la colère et l’imagination s’emparer de mes sens, je cède à la nature cette première explosion que toutes mes forces ne pourraient arrêter ni suspendre. Je tâche seulement d’en arrêter les suites avant qu’elle ait produit aucun effet. Les yeux étincelants, le feu du visage, le tremblement des membres, les suffocantes palpitations, tout cela tient au seul physique et le raisonnement n’y peut rien ; mais après avoir laissé faire au naturel sa première explosion, l’on peut redevenir son propre maître en reprenant peu à peu ses sens ; c’est ce que j’ai tâché de faire longtemps sans succès, mais enfin plus heureusement. Et cessant d’employer ma force en vaine résistance j’attends le moment de vaincre en laissant agir ma raison, car elle ne me parle que quand elle peut se faire écouter.

Tout vient également d’un tempérament versatile qu’un vent impétueux agite, mais qui rentre dans le calme à l’instant que le vent ne souffle plus. C’est mon naturel ardent qui m’agite, c’est mon naturel indolent qui m’apaise. Je cède à toutes les impulsions présentes, tout choc me donne un mouvement vif et court ; sitôt qu’il n’y a plus de choc, le mouvement cesse, rien de communiqué ne peut se prolonger en moi.

Le mal que m’ont fait les hommes ne me touche en aucune sorte ; la crainte seule de celui qu’ils peuvent me faire encore est capable de m’agiter ; mais certain qu’ils n’ont plus de nouvelle prise par laquelle ils puissent m’affecter d’un sentiment permanent je me ris de toutes leurs trames et je jouis de moi-même en dépit d’eux.

Le bonheur est un état permanent qui ne semble pas fait ici-bas pour l’homme. Tout est sur la terre dans un flux continuel qui ne permet à rien d’y prendre une forme constante.

Tous nos projets de félicité pour cette vie sont des chimères.

J’avais mis mes enfants aux Enfants-Trouvés ; c’en était assez pour m’avoir travesti en père dénaturé, et de là, en étendant et caressant cette idée on en avait peu à peu tiré la conséquence évidente que je haïssais les enfants ; en suivant par la pensée la chaîne de ces gradations j’admirais avec quel art l’industrie humaine sait changer les choses du blanc au noir. Car je ne crois pas que jamais homme ait plus aimé que moi à voir de petits bambins folâtrer et jouer ensemble, et souvent dans la rue et aux promenades je m’arrête à regarder leur espièglerie et leurs petits jeux avec un intérêt que je ne vois partager à personne.

Je comprends que le reproche d’avoir mis mes enfants aux Enfants-Trouvés a facilement dégénéré, avec un peu de tournure, en celui d’être un père dénaturé et de haïr les enfants. Cependant il est sûr que c’est la crainte d’une destinée pour eux mille fois pire et presque inévitable par toute autre voie, qui m’a le plus déterminé dans cette démarche. Plus indifférent sur ce qu’ils deviendraient et hors d’état de les élever moi-même, il aurait fallu dans ma situation les laisser élever par leur mère qui les aurait gâtés et par sa famille qui en aurait fait des monstres. Je frémis encore d’y penser.

Je savais que l’éducation pour eux la moins périlleuse était celle des Enfants-Trouvés et je les y mis. Je le ferais encore avec bien moins de doute aussi si la chose était à faire, et je sais bien que nul père n’est plus tendre que je l’aurais été pour eux, pour peu que l’habitude eût aidé la nature.

Je n’eus jamais ni présence d’esprit ni facilité de parler ; mais depuis mes malheurs ma langue et ma tête se sont de plus en plus embarrassés.

Dans l’extrême misère on se trouve riche de peu ; un gueux qui trouve un écu en est plus affecté que ne le serait un riche en trouvant une bourse d’or.

Et pains d’épice de voler à droite et à gauche, et filles et garçons de courir, s’entasser et s’estropier ; cela paraissait charmant à tout le monde.

Un signe, un geste, un coup d’œil d’un inconnu suffit pour troubler mes plaisirs ou calmer mes peines. Je ne suis à moi que quand je suis seul, hors de là je suis le jouet de tous ceux qui m’entourent.

Faut-il s’étonner si j’aime la solitude ? Je ne vois qu’animosité sur les visages des hommes, et la nature me rit toujours.

J’ai remarqué qu’il n’y a que l’Europe seule où l’on vende l’hospitalité. Dans toute l’Asie on vous loge gratuitement, je comprends qu’on n’y trouve pas si bien toutes ses aises. Mais n’est-ce rien que de se dire : Je suis homme et reçu chez des humains. C’est l’humanité pure qui me donne le couvert. Les petites privations s’endurent sans peine, quand le cœur est mieux traité que le corps.

Aujourd’hui jour de Pâques fleuries il y a précisément cinquante ans de ma première connaissance avec Mme de Warens. Elle avait vingt-huit ans alors, étant née avec le siècle. Je n’en avais pas encore dix-sept et mon tempérament naissant, mais que j’ignorais encore, donnait une nouvelle chaleur à un cœur naturellement plein de vie. S’il n’était pas étonnant qu’elle conçut de la bienveillance pour un jeune homme vif, mais doux et modeste, d’une figure assez agréable, il l’était encore moins qu’une femme charmante, pleine d’esprit et de grâce, m’inspirât avec la reconnaissance des sentiments plus tendres que je n’en distinguais pas. Mais ce qui est moins ordinaire est que ce premier moment décida de moi pour toute ma vie, et produisit par un enchaînement inévitable le destin du reste de mes jours. Mon âme dont mes organes n’avaient pas développé les plus précieuses facultés n’avait encore aucune forme déterminée. Elle attendait dans une sorte d’impatience le moment qui devait la lui donner, et ce moment accéléré par cette rencontre ne vint pourtant pas sitôt, et dans la simplicité de mœurs que l’éducation m’avait donnée je vis longtemps prolonger pour moi cet état délicieux mais rapide où l’amour et l’innocence habitent le même cœur.

Elle m’avait éloigné. Tout me rappelait à elle, il y fallut revenir. Ce retour fixa ma destinée et longtemps encore avant de la posséder je ne vivais plus qu’en elle et pour elle.

Ah ! si j’avais suffi à son cœur comme elle suffisait au mien ! Quels paisibles et délicieux jours nous eussions coulés ensemble ! Nous en avons passé de tels mais qu’ils ont été courts et rapides, et quel destin les a suivis !

Il n’y a pas de jour où je ne me rappelle avec joie et attendrissement cet unique et court temps de ma vie où je fus moi pleinement, sans mélange et sans obstacle, et où je puis véritablement dire avoir vécu. Je puis dire à peu près comme ce préfet du prétoire qui disgracié sous Vespasien s’en alla finir paisiblement ses jours à la campagne : « J’ai passé soixante et dix ans sur la terre, et j’en ai vécu sept. » Sans ce court mais précieux espace je serais resté peut-être incertain sur moi ; car tout le reste de ma vie, faible et sans résistance, j’ai été tellement agité, ballotté, tiraillé par les passions d’autrui, que presque passif dans une vie aussi orageuse j’aurais peine à démêler ce qu’il y a du mien dans ma propre conduite, tant la dure nécessité n’a cessé de s’appesantir sur moi. Mais durant ce petit nombre d’années, aimé d’une femme pleine de complaisance et de douceur, je fis ce que je voulais faire ; je fus ce que je voulais être, et par l’emploi que je fis de mes loisirs, aidé de ses leçons et de son exemple, je sus donner à mon âme encore simple et neuve la forme qui lui convenait davantage et qu’elle a gardée toujours.

Le goût de la solitude et de la contemplation naquit dans mon cœur avec les sentiments expansifs et tendres faits pour être son aliment. Le tumulte et le bruit les resserrent et les étouffent, le calme et la paix les raniment et les exaltent. J’ai besoin de me recueillir pour aimer.

J’engageai maman à vivre à la campagne. Une maison isolée au penchant d’un vallon fut notre asile, et c’est là que dans l’espace de quatre ou cinq ans j’ai joui d’un siècle de vie et d’un bonheur pur et plein qui couvre de son charme tout ce que mon sort présent a d’affreux. J’avais besoin d’une amie selon mon cœur, je la possédais. J’avais désiré la campagne, je l’avais obtenue ; je ne pouvais souffrir l’assujettissement, j’étais parfaitement libre, et mieux que libre, car assujetti par mes seuls attachements, je ne faisais que ce que je voulais faire. Tout mon temps était rempli par des soins affectueux ou par des occupations champêtres. Je ne désirais rien que la continuation d’un état si doux. Ma seule peine était la crainte qu’il ne durât pas longtemps, et cette crainte née de la gêne de notre situation n’était pas sans fondement. Dès lors je songeai à me donner en même temps des diversions sur cette inquiétude et des ressources pour en prévenir l’effet. Je pensai qu’une provision de talents était la plus sûre ressource contre la misère, et je résolus d’employer mes loisirs à me mettre en état, s’il était possible, de rendre un jour à la meilleure des femmes l’assistance que j’en avais reçue.



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 HISTORIQUE

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2025-05-01 19:46:31 - Bardamu : Ajouté l'auteur.
2025-05-01 19:46:00 - Bardamu : Modifié le type.
2025-05-01 19:45:25 - Bardamu : Ajouté la date de publication.
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